Le papillon de nuit - Hétérocère
Voici un petit guide technique pour observer les insectes nocturnes, destiné surtout à la recherche des hétérocères (papillons nocturnes), même si d’autres types d’insectes sont également attirés.
Ces techniques reposent principalement sur 2 méthodes : l’attraction des insectes par la lumière (au moyen de “pièges” lumineux) et l’attraction des insectes par la “miellée” (appât fermenté).
Avant tout, un peu de généralités
Les insectes sont “attirés” par la lumière, principalement par les rayons ultraviolets des lumières artificielles. Des études scientifiques ont montré que des longueurs d’ondes de 350-380 nanomètres semblent être les plus efficaces pour l’observation des insectes de nuit.
En fait, il semble que les insectes nocturnes ne sont pas attirés, mais plutôt “déviés” vers la lumière. Il reste encore des zones “sombres” quant à l’explication du déplacement des insectes nocturnes, mais il est prouvé que la Lune joue un rôle d’orientation pour de nombreuses espèces (dont les papillons), ainsi que la lumière émise par les étoiles. Ils ne se dirigent pas seulement grâce à cette lumière émise, mais aussi avec le vent et les “odeurs” véhiculées par celui-ci (phéromones sexuelles, plantes…).
Pourquoi tournent-ils sans arrêt autour des lampes ? (extrait du site de l’Association des entomologistes amateurs du Québec) : “Avant la venue de l’humain dans les plates-bandes des insectes, les seules sources de lumières provenaient des astres célestes (Soleil, Lune, étoiles). Ils sont tellement distants que leurs rayons qui nous atteignent sont pratiquement parallèles. En gardant un certain angle par rapport à ces rayons, un insecte peut s’orienter facilement dans le noir. Par contre, avec la présence d’une source de lumière artificielle, à une distance beaucoup moindre, le rayonnement diverge à partir de cette source. Imaginez un insecte cherchant à s’orienter en gardant toujours la Lune à sa gauche avec un angle constant. Il volera pratiquement en ligne droite. Par contre, si ce dernier croise une source de lumière qu’il peut confondre avec la Lune, il cherchera à corriger sa course afin de garder la “fausse Lune” à sa gauche et avec le même angle. Ceci aura pour effet de faire dévier l’insecte en spirale vers la source lumineuse jusqu’à ce qu’il s’en rapproche et se mette à tourner sans arrêt autour de la lumière artificielle, et ce jusqu’à épuisement voire jusqu’à sa mort !
Certaines personnes croient tout simplement que les insectes sont bêtes et stupides lorsqu’ils les voient tourner autour des lumières… Hé non ! Ces petites bébêtes sont peut-être un peu bêtes en effet, mais elles ne sont pas stupides, elles suivent tout simplement leurs instruments de bord et leurs instincts donnés par la Nature !”
A quelle distance sont-ils attirés ? Et par quelle type de lumière ?
Claude Dufay, célèbre lépidoptériste, a fait sa thèse sur le phototropisme chez les lépidoptères, en comparant un certain nombre de paramètres (climatiques mais aussi techniques). Cette étude avait été en partie reprise par Beaudoin (Bulletin la Société des lépidoptèristes français, 1976) et il en ressort les choses suivantes :
Les lampes les plus attractives (en nombre d’individus par heure, néons et ampoules à différentes longueur d’onde testées) semblent être les lampes de type wood (dépolie) à 125 W, ainsi que les tubes superactiniques 15 et 18 W. En cas de pleine lune par exemple, l’attraction d’une telle ampoule 125 W est d’environ 70 m (sur surface plane). Au-delà de cette distance, les papillons sont plus sensibles à la “lumière” de la Lune. En cas de nuit noire, cette sensibilité augmente à 830 m environ. Au-delà, les papillons sont aussi sensibles à la “lumière” des étoiles. L’impact des pièges néons est nettement plus faibles dans chacun des cas.
Les pièges lumineux
3 types de systèmes sont possibles pour l’étude de nuit :
– la recherche “active” : les pièges sur 220 V avec groupe électrogène
– la recherche “passive” : les pièges automatiques sur 12 V
– la miellée.
La recherche “active” : les pièges sur 220 V avec groupe électrogène :
Il s’agit d’un dispositif permettant, avec un groupe électrogène, de pouvoir alimenter une lampe fonctionnant sur 220V, à côté de laquelle on place un drap, à la fois pour mieux diffuser la lumière mais aussi pour observer plus facilement les insectes attirés.
Il faut donc:
– 1 drap au sol et idéalement, un drap vertical,
– 1 système d’accroche pour la lampe : un trépied ou une accroche sur voiture (ci-dessous),
– une ampoule (voir ci-dessous pour les modèles),
– un ballast (transformateur),
– des alvéoles à œufs,
– une rallonge,
– un groupe électrogène (type 1000 watts).
Voici quelques renseignements sur le matériel
Les draps
Pour ma part, je plaçais avant uniquement des draps au sol, avec un trépied au centre et l’ampoule sur le trépied. Le fait qu’il n’y ait pas d’obstacle vertical empêchait certaines bêtes de s’arrêter, continuant leur vol. L’idéal est donc de placer un drap vertical et des draps au sol au même endroit.
Si vous utilisez une voiture comme support pour votre installation (pratique si voiture haute), fixez votre drap vertical au moyen d’aimants (récupérez de vieux hauts parleurs !) et fixez une lampe par-dessus (à mi-hauteur grâce à un crochet sur une fenêtre préalablement baissée).
Les ampoules et le ballast
Comme évoqué plus haut, ce sont des longueurs d’onde émises dans les ultra-violets qui sont les plus efficaces pour l’attraction des insectes nocturnes. Vous pouvez utiliser des lampes “noires” (UV uniquement) ou des lampes mixtes à vapeur de mercure. Pour ma part, j’utilise ces dernières, qui sont moins nocives pour les yeux, et permettent en même temps de voir facilement ce qui arrive à la lampe.
Ces lampes à décharge fonctionnent avec un ballast. Le ballast est un transformateur qui permet de réduire le courant d’arrivée à l’ampoule (la lampe explose si elle est branchée en direct sur le 220 V !). Il se place entre la lampe et votre source d’énergie. Je le mets dans un boitier de dérivation étanche. Pour info, avec un ballast de 125 W, on peut brancher toutes les lampes qui sont en-dessous de cette puissance (50, 80 ou 125 W).
3 solutions pour trouver ce matériel :
– dans le service technique de votre municipalité : vous pouvez gentiment les demander, certains villages les utilisent pour les éclairages urbains, et peuvent éventuellement vous en donner avec les transfos (ballast) qui vont avec,
– dans les Comptoirs électriques (ville la plus proche) où ils les commandent directement (lampe + ballast) au fournisseur,
– enfin, une solution simple : France Lampes (http://www.francelampes.com). Service en ligne uniquement, pas cher et il y a tout (ou presque).
(Evitez les magasins entomo qui se font une marge excessive sur ces ventes …)
Pour la puissance, préférez les lampes à vapeur de mercure de 125 W. Pour les lampes de plus fortes puissances, les bêtes sont fortement attirées mais l’intensité lumineuse est telle que les bêtes se tiennent plus loin de la source, et c’est un véritable expédition pour les trouver.
Les alvéoles à oeufs
De nombreuses espèces sont attirées par les lampes, mais fuient la lumière directe, probablement trop intense. Une solution consiste à déposer, au sol, une série de boîtes à œufs, pour que les individus puissent s’y camoufler. Voyez le résultat, c’est très efficace !
Vous n’avez pas assez de boîte à œufs ? Allez demander à la crêperie la plus proche !
Le groupe électrogène
Vous avez 2 possibilités, souvent imposées par le budget. Ou bien vous achetez un groupe 2 temps pas cher (environ 100 euros), ou vous investissez un peu plus dans un moteur 4 temps (SP 98). Les premiers prix de groupe 4 temps sont autour de 300 euros, le “top du top” (type Honda 1000 W) à peu près 1200 euros ! Le groupe 2 temps est bruyant, lourd, peu maniable et tient seulement 4 heures avec un plein, le groupe 4 temps est léger, compact, très silencieux, et vous faites une chasse de 7 à 8 heures sans refaire le plein (avec lampe 80 W + tube 18 W par exemple), et vos oreilles et votre sommeil vous en remercierons. C’est le jour et… la nuit. Sachez que si vous faites des chasses à haute altitude, vous pourrez avoir quelques difficultés à bien faire fonctionner les 2 temps (manque d’air)…
*Piège automatique sur 12 V : une recherche “passive” !
Il s’agit ici de mettre en place un dispositif peu encombrant, léger, avec un tube néon UV (ou actinique), branché sur une batterie en 12 V, qui peut être allumé toute la nuit et disposé n’importe où.
Lors d’une chasse de nuit, vous pouvez ainsi déposer plusieurs pièges sur l’itinéraire entre chez vous et le lieu de la chasse avec la lampe et le groupe, dans divers milieux.
Concernant les néons, ce sont les mêmes pour le 220 V et le 12 V, sauf qu’il y a un convertisseur supplémentaire à la base du néon qui va sur du 12 V. Le plus simple est de commander directement dans un magasin entomo, un magasin de camping-car ou de tuning qui vendent des tubes néon 8 W ou 15 W sur 12 V (le convertisseur est donc déjà intégré, avec pinces croco pour la batterie). Ensuite, il faut juste changer le tube néon du dispositif pour mettre un néon 8 W (ou 15 W) lumière noire ou actinique, qui attire mieux les espèces.
Le piège "IKEA"
J’utilise maintenant sur le terrain une corbeille à linge transparente d’Ikéa (moins de 9€), qui se replie facilement. J’ai fait 2 fentes pour que les papillons puissent rentrer, et je mets dans ce piège des alvéoles d’œufs au fond, pour que les espèces lucifuges puissent rester. C’est économique et très pratique !
La technique de la miellée
Cette technique offre une source de nourriture attrayante aux papillons nocturnes, qui tirent leur énergie des sucres contenus dans leurs aliments. La miellée est donc un appât.
Contrairement aux idées souvent reçues, la miellée peut s’utiliser toute l’année, et constitue un apport non négligeable dans l’étude faunistique d’un secteur donné. On peut faire par exemple de très bonnes observations l’été en maquis sur ces cordes, alors qu’il n’y a quasiment rien sur le drap autour de la lampe ! Ceci étant, les meilleures périodes sont le printemps (avril surtout avec Orthosia sp, Noctuinae diverses) puis de la mi-juillet (Catocala sp.) à octobre (Cucullinae, Hadeninae).
Il n’existe pas de recette magique ! Les lépidoptéristes développent souvent leur propre mélange, le changeant selon les ingrédients disponibles. À vous d’expérimenter ! Malgré son nom, la miellée ne contient pas nécessairement de miel. Par contre, on y trouve toujours du sucre sous une forme ou une autre, et souvent un peu d’alcool. La mélasse est un ingrédient très populaire, qui permet à la miellée de bien adhérer à l’écorce des arbres. L’alcool, quant à lui, servirait à engourdir les réflexes des papillons pour faciliter leur capture. Les entomologistes ont aussi remarqué que les papillons semblent préférer les produits naturels aux produits artificiels.
Voici tout de même ma recette qui m’a été donnée par des amis autrichiens spécialistes de la famille des Noctuidae : 1 litre de vin rouge ou blanc et un kilo de sucre, que l’on fait chauffer à feux doux jusqu’à dissolution complète du sucre. On trempe des grosses cordes (des vraies en chanvre, pas celles en nylon, inefficaces pour l’imprégnation de la miellée) que l’on va laisser 2 à 3 jours dans la marmite. Ensuite, il n’y a plus qu’a tendre les cordes entre des piquets ou entre 2 arbres, à 1m, 1m50 du sol, à la tombée de la nuit ! Vous n’avez ensuite plus qu’a visiter régulièrement à l’aide d’une lampe de poche votre préparation. L’automne est idéal pour cela, car il reste peu de fleurs dans la nature, et les noctuelles adorent ça (Catocala, Xestia, Mythimna …) !
Il faut choisir de préférence plusieurs gros arbres assez rapprochés, par exemple le long d’un sentier, et privilégier ceux qui sont situés en bordure.
Cette technique nécessite d’être “actif” : les papillons font beaucoup d’aller-retours entre les différentes cordes, et il faut être relativement silencieux dès qu’on s’approche d’elles pour ne pas les faire fuir.
Un finlandais a mis au point un “piège à miellée” artisanal : vous mettez au fond d’un sceau un appât, vous fixer un entonnoir au dessus, les papillons attirés tombent dans l’entonnoir, au fond du sceau, se saoulent avec l’appât, et restent là jusqu’au petit matin…
Pour en savoir un peu plus
BEAUDOIN,L. 1976.- Les pièges lumineux . Bulletin de la Société des Lépidoptéristes Français. I (1).
DUFAY, C., 1964.- Contributions a l’etude du phototropisme des Lépidopteres Noctuides. Annls Sci. Nat. Zool. Paris ser. XII, 6, 218-406.
GIRARDIN, M., 2009.- L’attraction des espèces nocturnes par la lumière. Le piégeage lumineux. oreina, n° 6, 29-31.
FRY & WARING 2001. A guide to moth traps and their use. The Amateur Entomologist, volume 24, 68 p.